

Illustration 24. Six cent soixante-seize apparitions de Killoffer,
Killoffer, 2002
La prolifération amorale de la figure du “même” est au cœur de ce grand livre de Killoffer. Cette prolifération prend naissance dans une composition régulière qu’elle déborde très rapidement pour lui substituer une organisation des pages d’où la bande disparaît parfois totalement. Dans cet ouvrage, la forme est en totale mutation, et les décompositions de la figure sont inséparables des défigurations de la composition. Comme chez Jacobs dans Le Secret de l’Espadon, le retour au calme et à la sérénité s’accompagne du retour à une composition régulière, encore que chez Killoffer, les dernières images évoquent un recommencement inquiétant car signifiant le caractère probablement inévitable de la prolifération du même.
Certainement n’est-ce pas un hasard que le parallèle entre la dépravation morale, la satisfaction des instincts les plus vils, et des compositions fortement dynamiques dont certaines peuvent être qualifiées de tabulaires (voir plus loin à ce propos) s’exprime dans un livre publié par L’Association. C’est en effet chez cet éditeur exigeant que s’est affirmée une conception par bien des aspects littéraire de la bande dessinée, qui est allée de pair avec l’adoption de formats de livre se rapprochant de l’in-octavo si fréquent chez les éditeurs de littérature, ainsi qu’avec un usage semble-t-il généralement plus sobre de la composition.
Si la lecture morale de Six cent soixante-seize apparitions ne peut être évitée, les remarques qui précèdent ne doivent pas être entendues comme l’aveu d’une lecture moralisatrice du livre de Killoffer. Celui-ci exprime les déchirements du personnage, dans l’intériorité duquel une lutte terrible et implacable est à l’œuvre. Mais il n’est pas certain, en définitive, que la facette rassurante et posée du personnage sorte victorieuse de l’affrontement.
© L'Association 2002