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Salon des Ouvrages sur la Bande dessinée

Dessin de F. Bézian

Au sommaire de ce site

Présentation du livre

Ce qu'ils en disent...

 

Introduction

Avant-propos

Compositions régulières

Compositions semi-régulières

... [autres chapitres] ...

Conclusion

 

Table des illustrations

Bibliographie

Table des matières

 

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L'auteur

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Autres études de l'auteur

 

Introduction

La bande dessinée est un art de l’image. Ou plus exactement des images, car il y en a toujours plusieurs dans une bande dessinée. Dès lors qu’il y a une pluralité d’images se pose la question de leur assemblage. Cette organisation des images les unes avec les autres dans la bande dessinée, on l’appelle trivialement « mise en page ». Nous retiendrons plutôt ici le terme de « composition » : plus général, il n’impose pas d’emblée la nécessité d’une page. Après tout, on peut très bien dessiner trois images sur le coin d’une nappe. Cela peut déjà faire une bande dessinée, dont les images s’articulent les unes avec les autres. Mais la nappe n’est pas une page.

Si les images de la bande dessinée sont organisées les unes avec les autres, si la bande dessinée est composée, c’est qu’elle est aussi un discours. L’exposé d’une pensée au sens large se déroulant au travers une multiplicité de propositions articulées les unes avec les autres. Dans la bande dessinée comme dans la plupart des discours, la façon dont les propositions sont combinées les unes avec les autres influe directement sur la nature de ce qui est exprimé.

Comprendre la composition de la bande dessinée, c’est donc comprendre quels y sont les modes d’organisation des images, et dans quelle mesure la variation de ces modalités est susceptible d’altérer la nature de ce qui est exprimé par les images. Tel est le projet à l’origine de ce livre.

Celui-ci est l’aboutissement de dix années de réflexion sur la composition de la bande dessinée. Soutenu par l’analyse de centaines d’ouvrages, de milliers de bandes, il succède à une première étude, parue en 2005, où ce même projet nous avait menés à une exploration précise de l’œuvre d’un auteur classique de la bande dessinée franco-belge : Edgar P. Jacobs.

L’observation méticuleuse de la composition chez le créateur des Aventures de Blake et Mortimer nous a permis de poser les bases d’un puissant outillage conceptuel, susceptible d’expliquer, de commenter et de comprendre la plupart des bandes dessinées, qu’elles aient été créées en Europe, aux Amériques ou en Asie, au crépuscule du XIXe siècle ou à l’aube du troisième millénaire. Construit grâce aux fondations laissées par nos prédécesseurs, desquelles nous avons ôté ce qui ne nous semblait pas assez solide, le soubassement de l’édifice était prometteur.

Prometteur, peut-être, mais encore trop près du sol pour que sa portée soit bien perçue. Rasant la terre et manquant d’élévation, les murs n’offraient pas une vision assez précise du plan d’ensemble. À ce titre, les doutes du critique portugais Pedro Moura sont exemplaires : « L’application de l’analyse et des instruments développés [dans Edgar P. Jacobs et le Secret de l’Explosion] peut s’avérer relativement difficile pour des auteurs qui travaillent déjà dans une phase ultérieure, écrivait-il en 2006. Chavanne propose, certes timidement, quelques exemples de modèles semblables à ceux de Jacobs trouvés chez d’autres auteurs, plus modernes et de différentes origines géographiques et narratives. Mais seul un examen tout aussi minutieux de ces auteurs, suivant le chemin de Chavanne, permettrait de confirmer cette hypothèse. »

Indéniablement, les quelques exemples présentés à la fin de l’étude consacrée à Jacobs ne pouvaient contenter le lecteur exigeant. Ils appelaient la démonstration de l’étendue de leur efficience (nous ne parlerons pas d’universalité, ou de systématisme, tant ces notions nous semblent peu adaptées, voire vaines lorsqu’on s’attache à une discipline artistique).

Ce livre est le résultat de cette généralisation. Affinant et détaillant les formes de la composition de la bande dessinée, nous nous sommes efforcés de multiplier les exemples, de solliciter des œuvres diverses, de ne négliger ni les auteurs de grande notoriété, ni ceux travaillant pour un cercle plus restreint. Nous avons cherché, à la mesure de nos moyens, des exemples sur tous les continents, traversant un siècle entier.

On trouvera donc dans les pages qui suivent l’exposé des règles et des principes utilisés en bande dessinée pour organiser les images entre elles. On verra encore comment ces principes peuvent être modulés les uns avec les autres, ces combinaisons permettant d’ouvrir de nouveaux champs d’expressivité. On observera enfin comment, dans leurs recherches incessantes, les artistes subvertissent les propres règles qui régissent leur discipline quand ils estiment qu’elles se sclérosent et qu’il faut poursuivre au-delà.

Et puisque nous nous sommes imposés de ne jamais nous éloigner de la bande dessinée, c’est-à-dire de ne pas nous avancer sur un terrain aride et théorique en oubliant derrière nous les œuvres, commençons par suivre ici même cette résolution.

Andreas

Andreas, dans Pourquoi j'aime la ...

En 2006, les éditions Delcourt ont publié un petit opus intitulé Pourquoi j’aime la bande dessinée, ouvrage s’inscrivant dans la lignée de ces livres, tel Jeux d’influences édité par PLG en 2001, interrogeant plusieurs dessinateurs sur les motivations qui ont pu les conduire à la pratique de leur art. Due à Andreas, l’une des contributions, que nous reproduisons ci-contre, peut donner de la consistance à notre propos. Le dessinateur répond à la question qui lui est posée au travers d’une bande dessinée, structurée en deux bandes, occupées respectivement par trois et cinq cases. Ces cases ne sont pas le lieu de l’élaboration d’un récit, mais celui du déploiement d’un discours associant une succession des représentations, dont la dernière est précisément le schéma d’une bande dessinée. Elle est schématique, car n’est tracé que le contour des cases se détachant sur fond noir. Les cases sont vides. « Ce qui importe, nous dit ici Andreas, ce que j’aime dans la bande dessinée, c’est le fait d’associer des images les unes avec les autres. » Et l’association, la disposition des images entre elles prime sur la nature même de ces images. Il est possible de parler des schémas d’organisation en tant que tels.

À l’exception de la troisième case – portrait en pied d’un artiste, vu au travers d’une fenêtre (nous reviendrons souvent sur la question des fenêtres tout au long de ce livre), courant ou dansant devant une forme abstraite, tenant en mains crayons et pinceaux, mais aussi équerre –, à l’exception donc de cette case, toutes les autres montrent des formes géométriques, ainsi mises en rapport avec le tracé final des cases d’une bande dessinée. Que sont ces formes géométriques ? Le plan d’une ville portuaire d’abord, peut-être américaine, avec la grille de ses rues, et l’avancée de ses quais. Puis un alignement d’immeubles. Puis le fragment du plan de l’intérieur d’un bâtiment. Puis le dessin d’une partie d’un tapis, dont on sait que les motifs traditionnels pouvaient représenter le monde, des jardins, etc. Puis encore la représentation d’une de ces petites boîtes pleines de compartiments, que l’on achetait dans les marchés aux puces. On accrochait ces boîtes à un mur et on y rangeait bibelots et souvenirs. Qui se souvient encore que ces boîtes étaient, avant d’être vendues chez les brocanteurs, des casses, c’est-à-dire les rangements où l’on plaçait les lettres de plomb assemblées ensuite par les typographes dans les imprimeries ? Enfin, l’avant-dernière case montre les touches d’une calculette. Que nous explique donc Andreas avec cette succession d’images ?

Les chiffres de la machine à calculer sont des items dont la manipulation permet l’émergence d’une représentation mathématique du monde. Le choix des bibelots permet de reconstruire l’intimité de leur propriétaire, son monde à lui. Le tapis est un plan, comme celui de l’appartement ou la carte de la ville : tous exposent quelque chose du monde au moyen d’un groupe d’objets hétérogènes rendu cohérent par leur assemblage, par leur organisation. La bande dessinée est au bout de cette série ; elle aussi permet de construire une représentation du monde à partir de l’organisation de fragments cohérents. Et cette représentation est due autant à l’assemblage des fragments, c’est-à-dire des images, qu’aux images elles-mêmes.